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26 janvier : 2 collèges d’Ivry en grève
Article publié le 25 janvier 2015

Ces fameux « moyens » dont les profs ont besoin :

Comment faire adhérer les élèves aux valeurs de la République lorsque l’Ecole, la première Institution à laquelle ils sont confrontés les exclut et ne leur propose rien lorsqu’ils sont en difficulté ? Cette même Institution qui doit leur transmettre et leur faire comprendre ces valeurs ! La situation dans laquelle nous sommes depuis des années est un non-sens, une aberration…

Les profs parlent souvent de manque de moyens, mais de quoi avons-nous besoin exactement ?

Prenons le cas de notre collège, Romain Rolland à Ivry-sur-Seine qui est pour le moment exclu de la politique d’éducation prioritaire.

Avant tout, nous avons besoin d’adultes dans les établissements :

• un(e) infirmièr(e) à temps plein car il n’est pas possible d’être à l’écoute, dialoguer et détecter les problèmes des élèves lorsqu’une seule personne n’est là que 2 jours par semaine, voit 40 élèves dans une journée et doit en plus réaliser et gérer la visite médicale pour 172 élèves de 5ème, visite médicale qui va elle même déboucher sur la découverte de situations difficiles et parfois graves et urgentes.

• un(e) assistant(e) sociale à temps plein car ce n’est pas tout de diagnostiquer les difficultés, il faut pouvoir agir et aider les élèves et les familles dont certaines sont dans des situations catastrophiques et d’urgence.

• un(e) conseiller(e) d’orientation, car orienter les élèves de manière précise, c’est une compétence qui doit revenir à une personne formée et non majoritairement aux enseignants qui ont déjà beaucoup à faire et ne peuvent pas avoir toutes les informations importantes sans cesse en évolution (c’est une tradition dans cette machine écrasante qu’est devenue l’EN).

• créer un corps de vie scolaire avec des surveillants formés, recrutés sur concours, avec une perspective d’évolution de carrière (concours interne de CPE) afin de stabiliser des personnels qui, de par leur proximité aux élèves, ont un rôle central et doivent connaître et transmettre les valeurs de l’Ecole républicaine.

• recruter et former plus d’enseignants car les classes ne doivent pas avoir plus de 20 élèves pour assurer un suivi individualisé qui permette à chaque élève de progresser.

• créer dans chaque établissement une cellule de soutien et de remise à niveau avec des enseignants d’enseignement général (professeurs des écoles spécialisés) pour prendre en charge les élèves en échec ou en décrochage sur la base du RASED dans le premier degré.

• cesser de recruter des vacataires et contractuels incompétents. Enseigner est un métier qui s’apprend et nous n’acceptons pas que des classes soient sacrifiées sous couvert de mettre des adultes devant les élèves.

• faire des classes dédoublées en langues afin qu’elles deviennent réellement « vivantes ». Le niveau des Français en langues étrangères est, on le sait, très médiocre : comment espérer changer cette réalité quand chaque élève ne bénéficie que de quelques minutes d’oral par an ?

Mais la tâche est bien plus large, il est aussi impératif de :

• stabiliser les équipes avec une prime motivante et une valorisation de points pour les mutations car une équipe stable est le seul moyen de donner un cadre à la fois solide, cohérent et sécurisant pour les élèves.

• inscrire l’éducation civique en tant que matière à part entière et former les enseignants qui l’enseigneront (issus de toutes les disciplines). De plus, pourquoi ne pas la mêler avec de la philosophie (des écoles maternelles en font) pour apprendre à argumenter, débattre, s’écouter et échanger sur des sujets fondateurs de l’esprit républicain ou des débats de société afin que nos élèves soient armés d’esprit critique et d’analyse éclairé pour leur vie de futur citoyen. Etre citoyen ne se décrète pas, cela passe par un apprentissage qui réclame des heures, des profs formés.

• Créer des établissements à taille humaine ne dépassant pas 500 élèves, notre collège a 675 élèves et bientôt 850, c’est une poudrière.

• cesser de faire passer la moindre action bénéfique pour les élèves en heures supplémentaires pour les enseignants. L’EN doit assumer matériellement ce qui est jugé nécessaire pour les élèves et donc le faire entrer dans le service des enseignants.

• généraliser et rendre obligatoire la formation aux premiers secours car c’est un savoir incontournable et le premier moyen de développer l’altruisme. La France est très en retard sur ce point, il est grand temps d’y remédier.

• dynamiser les vocations des futurs enseignants en considérant que le coût de la vie autour de Paris ou dans d’autres grandes villes (prix de l’immobilier, des loyers) fait que le salaire des enseignants qui y vivent est insuffisant et considéré par certaines institutions (ANAH) comme des "ressources modestes" ou "très modestes » alors que ce n’est pas le cas hors région parisienne. Une prime de vie chère doit être mise en place car l’équité entre les enseignants, tous fonctionnaires d’Etat, passe avant tout par le traitement (l’indemnité de résidence est dépassée et ne remplit pas son rôle). Elle doit permettre d’augmenter le salaire de 25%. Il s’agit pour l’EN d’être cohérente : comment créer des vocations et recruter des personnes qui vont promouvoir des valeurs d’équité alors qu’eux-mêmes sont traités injustement sur le territoire national ? Comment participer à la stabilisation d’enseignants motivés et aguerris dans nos départements alors qu’ils n’ont pas le même niveau de vie selon le lieu où ils sont nommés ?

Il s’agit donc d’ouvrir les yeux, nous avons besoin de beaucoup plus que ce que la réforme de l’éducation prioritaire propose, beaucoup plus.

L’EN doit prendre conscience qu’à travers son Ecole, c’est la société qui va droit dans le mur. Certes, tous ne se prendront pas ce mur à titre individuel, heureusement beaucoup réussiront et s’épanouiront ; mais les évènements récents mettent l’éclairage sur ceux qui restent dès leurs premières années de vie en marge d’une société qui reste sourde aux cris des enseignants, en imaginant qu’ils agissent pour leur confort Cette société se cache les yeux pour ne pas voir ses erreurs et c’est collectivement que nous en subirons les conséquences. Nous avons déjà commencé à les subir et nous n’étions que 4 millions de personnes dans la rue le 11 janvier 2015 pour défendre notre modèle de vie et nos valeurs.

Chaque année 122000 élèves quittent l’école sans diplôme ou formation et cela fait presque 30 ans que cela dure. Les terroristes avaient tous entre 30 et 35 ans… L’Ecole ne peut pas tout faire, mais l’Institution doit lui permettre de faire mieux et plus. C’est à l’adolescence que les élèves construisent et affirme leur identité.

Il s’agit au fond d’un choix de société : l’Etat veut-il enfin donner ces moyens nécessaires et incontournables afin que chaque élève puisse apprendre à réfléchir et se construise un libre arbitre éclairé ? Va-t-on permettre à l’Education française de regagner son rang en allouant l’enveloppe nécessaire à cette ambition ? La France réserve en effet 1,5 % du budget de l’EN aux réseaux d’éducation prioritaire, quand les autres pays de l’OCDE affectent 4% de ce budget pour pallier ces difficultés de zones sensibles. Les classements PISA attestent de cette dégringolade… il s’agit désormais, il en est grand temps, de cesser de voir à court terme, d’enfin regarder la réalité en face et d’oser les solutions concrètes et ambitieuses. C’est l’avenir et la place de la France qui sont en jeu.

Du fond de notre banlieue d’Ivry-sur-Seine, le collège Romain Rolland est mobilisé et en grève depuis début décembre 2014 pour dénoncer ces problèmes et réclamer ces moyens. Résultat, après 3 semaines de grève : notre Administration nous ignore et décide que nous ne devons plus faire partie de l’éducation prioritaire. Nous sommes le seul collège de la ville à ne pas être classés REP : à même réalité socio-économique, l’iniquité du traitement est flagrante.
Pourtant, le 8 janvier 2015 lors de la minute de silence, de nombreux élèves ont refusé de la faire, ont tenu des propos choquants et provocants… mais nous restons en marge, ces difficultés que nous vivons tous les jours, ne sont nullement reconnues.
Aujourd’hui, la quasi totalité des professeurs principaux a démissionné, de nombreux personnels enseignants et de Vie scolaire sont en arrêt car ils craquent, des élèves ont tenté de faire partir des incendies à plusieurs reprises dans des salles de cours, des enseignants continuent de se faire insulter, certains ont été blessés en raison d’installations défaillantes ou parce qu’ils sont intervenus lors de bagarres d’élèves en plein cours, les couloirs deviennent trop souvent des zones de non-droit... Doit-on attendre que la situation s’aggrave encore pour être entendus ?

Politiques, parents, citoyens, personne ne peut plus dire : « On ne savait pas… ».

Les enseignants du collège Romain Rolland d’Ivry-sur-Seine.