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Evaluation CM2 : Lettre de soutien d’André Ouzoulias au x enseignants sanctionnés de 4 jours de retrait de salaire
Article publié le 18 juin 2009

De André Ouzoulias Butry, le 2 juin 2009 professeur à l’IUFM de Versailles
Université de Cergy-Pontoise (UCP)

à Marguerite Bachy, Isabelle Beaulier, Joël BlanchardÉcole publique, Aizenay (Vendée)
à
Marie-Pierre Texier École de la Croix Marraud, Challans (Vendée)

Chers collègues,
J’apprends que l’inspecteur d’Académie, DSDEN de la Vendée, a décidé de vous sanctionner d’un retrait de 4 jours de salaire pour « service non fait », en raison de votre refus de faire passer aux élèves de CM2 de votre école les évaluations nationales de janvier 2009. Cette annonce ne peut que
susciter l’étonnement et l’indignation.

Il est étonnant en effet que votre hiérarchie sanctionne aussi durement quatre enseignants, alors que, selon les chiffres officiels communiqués par le ministère de l’éducation nationale, il n’a reçu les résultats des évaluations que pour 78% des élèves concernés. Près de huit mille maîtres de CM2 ont
donc refusé de faire passer ces évaluations ou ont refusé de transmettre les résultats ou encore les ont délibérément transmis sous une forme inexploitable par l’administration. De plus, parmi les résultats que le ministère a traités, comme en ont témoigné les enseignants de plusieurs départements, une très forte proportion était sans rapport avec la réalité des exigences de cette
évaluation :

- pour plusieurs exercices, de nombreux maîtres ont donné bien plus de temps aux élèves que ce que le livret de l’enseignant prescrivait ;

- la plupart des maîtres ont considéré qu’ils devaient dispenser leurs élèves des exercices qui portaient sur des compétences non étudiées en janvier ;

- pour divers items globalement bien réussis, mais pour lesquels le codage binaire conduisait à noter 0, la plupart des enseignants ont quand même noté 1 ;
- pour plusieurs exercices, la plupart des maîtres ont aidé les élèves à comprendre des consignes insuffisamment explicites ou inhabituelles et déstabilisantes ;

- comme les supports ont été mis en ligne plusieurs jours avant ceux de la passation, on sait que certains parents ont fait bachoter leur enfant…

Les deux principaux syndicats d’inspecteurs ont dénoncé des « bidonnages » de grande ampleur.

Bref, au regard des conditions de passation, les résultats qui sont parvenus à l’administration de l’éducation nationale n’ont aucune fiabilité, elle le sait fort bien.

Ce fiasco serait-il dû à une poignée d’enseignants animés d’une volonté maligne de saboter le travail de l’école publique ? Évidemment non. Vous êtes de ces maîtres qui partagent la nécessité d’une évaluation des apprentissages.

Mais vous voulez pouvoir la mener sérieusement, en fonction de ce qui a été enseigné et dans le respect des enfants. Votre inspecteur d’Académie semble ignorer les procédures que vous avez mises au point collectivement dans vos écoles pour le suivi des progrès de vos élèves. A-t-il seulement pris le temps de s’informer sur votre travail avant de vous condamner ? Sait-il ce que vous mettez en place pour que chaque enfant sache bien lire et aime lire, pour qu’il se sente en sécurité et en appétit dans la culture mathématique et scientifique, pour qu’il puisse vivre et partager des expériences artistiques, pour qu’il fasse ses premiers pas vers ses responsabilités de citoyen… ? Sait-il ce que vous mettez en place pour évaluer leurs apprentissages dans tous ces domaines ? A-t-il une idée de ce que vous entreprenez par vous-mêmes pour vous
former et vous perfectionner ?

Et s’est-il enquis de la manière dont vous organisez l’information des
parents de vos élèves ?

Dans le courrier qu’il vous adresse, l’inspecteur d’Académie dit que « l’Éducation nationale a une responsabilité envers la Nation », que « cette dernière a un droit de regard légitime sur la performance de son École et [que] celle-ci se mesure avant tout aux compétences acquises des élèves ». Vous ne contestez pas ce principe. Mais comment prétendre que les évaluations CM2 de
janvier 2009 ont effectivement mesuré les compétences acquises par les élèves et ont permis à la Nation de se donner une appréciation objective de la performance de son École ? Pour cela, fallait-il faire « plancher » durant quatre heures 830 000 enfants de CM2 et mettre en émoi les élèves, les maîtres, les parents et les corps d’inspection, tandis que la DEPP dispose d’une méthodologie rôdée qui fonctionne avec un échantillon de 6 000 élèves parfaitement représentatif ? Et qui, au fond, respecte le besoin légitime de contrôle de la Nation sur le service public d’éducation et rend compte
de sa mission d’agent public : les responsables du Ministère publiant des résultats qu’ils savent être sans aucune valeur ou des maîtres qui disent : « une évaluation est honnête ou n’est pas » et refusent de cautionner une telle mascarade ?

L’administration de l’Éducation nationale a mis sur les rails un train qui ne pouvait que dérailler, mais elle vous punit de ne pas avoir voulu le piloter !

Que vous reproche-t-on au juste ? D’avoir voulu protéger vos élèves en les dispensant d’un examen dans lequel des épreuves les auraient mis en échec dans des domaines du savoir qu’ils n’avaient pas encore abordés ? De ne pas avoir employé une solution qui sauve les apparences en envoyant des résultats contrefaits ? D’avoir refusé une évaluation parce qu’elle était mal conçue ? Et
de l’avoir fait publiquement alors qu’on ne sait toujours pas qui a élaboré ces épreuves, les auteurs étant restés anonymes, contrairement à toutes les précédentes évaluations nationales ? Vous avez assumé votre responsabilité d’éducateurs, d’enseignants de l’école publique et de citoyens. Vous
avez alerté les parents et ils vous ont soutenus. Au total, qui, dans cette affaire, incarne vraiment cette éthique de la responsabilité, celle qui devrait animer tout fonctionnaire de la République : vous qui avez agi au nom de l’intérêt des enfants, de la vérité et de la sincérité ou ceux qui ont demandé à
votre inspecteur d’Académie de vous sanctionner ? Qui incarne le modèle éducatif de la République et les valeurs qui la fondent ? Soyez fiers de ce que vous avez fait ! Vous êtes l’honneur de notre école publique, l’honneur de ses maîtres.

On s’étonne, mais on s’indigne aussi : l’administration actuelle semble vouloir pétrifier les collègues des écoles primaires en décidant à votre encontre une sanction particulièrement forte.
Indéniablement, elle veut faire un exemple. Le ministre avait promis que, pour ces évaluations CM2, les maîtres de ces classes se verraient attribuer une prime de 400 euros. En principe, pour n’avoir pas fait ce que le ministre reconnaît lui-même comme un travail supplémentaire rémunéré par une
prime, vous devriez être privés de cette rémunération supplémentaire.

Pourtant, non ! Alors que, cette semaine-là, vous avez travaillé normalement, comme tous vos collègues, durant les 27 heures de votre service au sein de l’école (en fait bien davantage…), on vous inflige une double peine suppression de la prime et retrait de quatre journées de salaire pour « service non fait », au lieu de quatre heures si on se fie à l’estimation des auteurs des épreuves.

Ce faisant, l’administration actuelle parviendra peut-être à contenir d’autres actions comme la vôtre. Mais ce qui est obtenu par la peur et la menace est précaire… L’administration doit prendre conscience qu’elle installe le ressentiment dans le coeur des maîtres et qu’elle est en train de briser les
liens de confiance qui, seuls, garantissent la sincérité de leur engagement. Elle ne devra pas s’étonnerdemain, si elle ne dispose sur eux que d’un simulacre de contrôle et ne parvient plus à discerner le réel de son imitation.

Si je peux participer utilement à votre défense, soyez assurés que je m’y emploierai.

Avec mes salutations les plus cordiales,

André Ouzoulias