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Grenelle de l’éducation : de l’art du « liberalism washing »
Article publié le 17 mars 2021

La lecture des synthèses des ateliers du Grenelle de l’éducation nous fait pénétrer dans une ère nouvelle faite de « beaux mots », de beaux concepts qu’il faudra apprendre par cœur. Le connaître pour les gérer... les digérer. Par Gregor Lamster

Grenelle de l’éducation : de l’art du « liberalism washing » où l’autonomie ne signifie en rien confiance et liberté pédagogique.

La lecture des synthèses des ateliers du Grenelle de l’éducation nous fait pénétrer dans une ère nouvelle faite de « beaux mots », de beaux concepts qu’il faudra apprendre par cœur. Le connaître pour les gérer... les digérer. Et comme d’habitude, pourrait-on dire, les « belles » idées, il faudra certainement les assimiler au forceps. Marche ou crève. Ce n’est plus à France Telecom mais à l’école. Si le poil s’hérisse à l’écoute du mot « manager », vous ne faites plus partie de ce monde. Si gérer des process, dynamiser une équipe autour d’un projet dynamique dynamisant, vous effraie, c’est que vous êtes trop vieux ou trop arc-boutés sur des vieux machins gauchistes (voire islamo-gauchistes).
Mais la guêpe n’est pas folle, elle a lu Orwel ou Huxley et même Boltanski. Elle sait pertinemment, quitte à être à contre-courant, que les « beaux mots » pour reprendre l’expression de Mireille Cifali1 deviennent des faire-valoir d’une idéologie. Kafka disait quant à lui, « les mots sont les étincelles des incendies futurs ». A la lecture donc des synthèses, nous sentons comme un malaise et le goût amer d’une sauce à laquelle l’école sera certainement mangée par des idéologues... qui voudraient faire de l’institution émancipatrice (dans la prophétie du « départ ») une entreprise comme une autre : où les produits sont « manufacturés », évalués dès le début du process de fabrication, et où les opérateurs « sur la ligne. Essayons de pénétrer dans cet « inquiétante étrangeté » ...

Atelier : « Collectif pédagogique »

« Inscrire un temps collectif à pilotage participatif par niveau, ou par discipline, une fois par période, initié/impulsé par le directeur/chef d’établissement autour d’un défi commun »

Dès la lecture des ateliers, on sent très vite que tout ça va être inspirant : un vent nouveau va souffler. Encore faut-il reprendre une respiration et bailler pour s’aérer le cerveau. Prenons l’exemple de l’atelier intitulé « Collectif pédagogique ». Pourrions-nous y être hostiles ? Non, bien évidemment. Mais, plus bas, on découvre et on nous apprend que les pratiques collaboratives, de co-éducation, le partage d’expériences (sic) sont peu développées. Ah… ? Nous restons sans voix. La solution : développer des collectifs pédagogiques, au titre fumeux (en gras plus haut). Décortiquons : « un temps collectif à pilotage participatif » : quelle est cette expression « usine à gaz » qui mixte des notions alléchantes revendiquées depuis longtemps par beaucoup d’entre-nous à d’autres issues d’un langage technocratique voire « gestion de personnel » dans un souci d’efficacité « productiviste et utilitariste » ? Nous pourrions dorénavant bénéficier de temps à la recherche, à l’échange, à la remise en cause, à la construction de projets collectivement (et sans caporalisation) ? Mais rappelons nous, et regardons de quelle culture nous avons été abreuvé·es : celle de l’infantilisation, des formations obligatoires, des fiches de prep’.... Toute une culture de la soumission, qui n’a au final laissé que bien peu de place à ce que revendique aujourd’hui les synthèses du fameux Grenelle. Bien au contraire.

D’un collectif autonome mais assujetti...

D’un côté « le haut de la pyramide » vous donne l’impression de donner, de prôner la confiance, mais de l’autre il vous le reprendra. Une duperie, puisqu’il vous imposera des évaluations, des méthodes de lecture et bientôt des entretiens d’embauche !

Et la/le pauvre enseignant·e n’aurait pas pris conscience de l’intérêt du collectif ?? Ou lui a-t-on donné le temps ? Et même l’envie ? Jusqu’à sa propre formation qui lui est imposée dans des animations défiant le droit à une formation tout au long de la vie. On va donc leur montrer, leur dire de faire ce qu’il faut : le collectif. Jusqu’à l’échange de pratiques, craint par la hiérarchie elle-même : véritable cocotte minute prête à exploser tellement les souffrances et « le travail empêché » sont le quotidien de tou·te·s sur le terrain. On voudrait donc leur faire faire du collectif alors que tout est organisé pour les en empêcher.

Et « participatif » par dessus le marché...

On dirait là une découverte révolutionnaire du concept tiré de l’approche politique visant à régénérer la démocratie représentative vieillissante. Succomberions-nous aussi facilement à ces propositions sémantiques et séduisantes ? Un vent de démocratie soufflerait-il dans les écoles ? Ou alors « participatif » parce que nous devrions participer activement aux réunions instituées et instaurées. Alors que comme les mauvais-es élèves, ou plutôt celles et ceux qui s’ennuient nous regardons l’horloge tourner.
Un temps collectif est efficient s’il est décidé en collectif et sera véritablement participatif s’il y a un sens à être là, un objectif commun. Dans une bienveillance réelle et non instituée par les textes. Celle là ne s’apprend pas ni ne s’impose. Objectif choisi « comme des grand-es ». Mais ici on ne parle même pas d’objectif mais de « défi commun », sous le règne de l’efficacité, de résultats garantis parce que les neurosciences nous auront montré le chemin. Et que les inégalités disparaîtront... puisqu’il suffit de passer sur BFM pour l’affirmer.

Sous la gouvernance de ...

« Initié/impulsé par le directeur/Chef d’établissement » ? Ou le manager ? Notons que dans ces synthèses les directeurs et directrices « auront un statut leur conférant une autorité décisionnelle et fonctionnelle » (Atelier GOUVERNANCE). Nous y voilà, une gestion de type entreprise, start-up ou open space dans les écoles, instiguée par le haut, par la hiérarchie. Des managers à tous les étages. Quels pouvoirs auront les directeur·ices sur les carrières des collègues, sur leur fameux « mérite » ? Et il nous faudrait croire au collectif pédagogique...

De l’intelligence...en milieu scolaire

Si l’autonomie, ou plutôt la vraie responsabilisation et la vraie confiance étaient de mise dans l’institution, accompagnée d’une vraie liberté pédagogique, on se garderait d’être aussi méfiant face à ce vocabulaire. Les années qui viennent de s’écouler laissent forcément suspecter une sorte de libéralisation à pas forcés, contrôlée et cadenassée. Inciter au collectif, au coopératif ne peut se faire de manière contrainte, encore moins avec des injonctions paradoxales, d’évaluations obligatoires dès la maternelle. « Travailler ensemble », « avec », « chercher avec » impliquent du temps, des lieux, souvent sans crainte. Mais on sait trop bien ce qui peut se jouer : les regards en biais, des collègues amené·e·s à se taire sinon on les bouge3, les craintes et les pressions diffuses...
Mais peut-être suffisait-il de lire la prose éditée aux éditions Odile Jacob de notre ministre pour s’éviter les fameux ateliers du Grenelle. Mais je ne l’ai pas commandée au Père Noël.
Au moment où l’article s’écrit sur le clavier, le Père Noël vous enverra bientôt ses entretiens d’embauche. Il suffit de jeter un œil pour voir ce qu’il se passe en Gironde...

Du Grenelle à la start-up éducation. De l’éducation nationale à France Télécom.

Grégor Lamster