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La « Masterisation » des enseignants
Article publié le 16 janvier 2009

Jusqu’ici, après trois années de licence à l’université, une année à préparer les concours de recrutement, le futur enseignant (hors agrégés) devient stagiaire en alternance entre l’IUFM et le « terrain ». Il passe donc du statut d’étudiant à celui d’enseignant progressivement, en recevant une formation professionnelle, avant d’être titularisé à l’issue de la cinquième année.

Une formation à bac + 5 et un recrutement à bac + 5, ce n’est pas la même chose !

La réforme de Sarkozy et Darcos consiste à proposer au futur enseignant cinq années de formation universitaire pour y préparer un master avant de pouvoir passer le concours : en cas de succès, il se retrouvera immédiatement en exercice et ce, à temps plein. C’est cette
« mastérisation » qui justifiera le fait d’être « payé plus cher en début de carrière » sans devoir augmenter les salaires de toute la Fonction publique...

La « mastérisation » est l’application aux enseignants de la réforme LMD (Licence-Master-Doctorat), que nous avions combattue notamment pour la sélection sociale qu’elle renforçait à l’université. Sans accompagnement social, impensable actuellement, l’allongement des études avant une entrée dans un métier, quel qu’il soit, conduit inexorablement à un accroissement de la sélection sociale.

Mais le plus grave est qu’il s’agit de porter à bac + 5 le niveau universitaire de recrutement, mais sûrement pas la formation professionnelle de l’enseignant, qui sera de fait quasiment supprimée.
Or nous avons suffisamment connu la situation de tous les précaires envoyés du jour au lendemain devant une classe pour savoir combien il est périlleux d’apprendre « sur le tas », même avec les conseils d’un collègue chevronné

Défendre la formation professionnelle des enseignants

La formation qui est donnée dans les IUFM peut et doit être améliorée. Les critiques des « usagers » sont souvent justifiées : trop de distance entre les cours à l’IUFM et les difficultés sur le terrain, pas assez d’analyse de pratiques, multiplication de stages divers, surcharge de travail... Du moins cette formation a-t-elle le mérite d’exister. Le problème aujourd’hui n’est pas la défense des IUFM, mais la sauvegarde et le développement d’une formation à l’enseignement.

L’enseignement est en effet un métier, mettant en jeu des savoirs et savoir-faire complexes, une profession, impliquant la capacité à adapter et transformer son objet, et une fonction publique, relevant de l’ÉtatComme tel, ilnécessite avant d’être exercé une formation qui ne peut se réduire à un simple « compagnonnage » la première année d’exercice, ni à l’imitation de la méthode d’un maître.

Elle implique prise de recul et analyse des pratiques, permettant
au savoir professionnel de s’autonomiser progressivement de la pratique ;

Les raisons de la réforme Sarkozy

Ce sont ces notions que la réforme veut jeter à bas. Replacée
dans son contexte politique, elle prend son véritable sens, à la fois appui conjoncturel pour la politique du gouvernement et bouleversement de fond du métier d’enseignant dans le sens du libéralisme.

Dans l’immédiat, les 25 000 enseignants-stagiaires qui apprennent le métier en alternance sont payés comme fonctionnaires stagiaires. Si on les transforme en étudiants préparant un master, ce sera autant d’économies.

Par ailleurs, cette réforme sert à satisfaire les adversaires compulsifs — et pas seulement à droite — du prétendu « pédagogisme », qui ne cessent de réclamer un enseignement fondé sur la seule transmission de savoirs académiques et un retour à l’école « d’autrefois ».

Mais surtout cette réforme met en oeuvre tout ce que dix ans de rapports phares du libéralisme annonçaient et que nous avions pu contenir jusqu’ici.

Une réforme idéologique longuement mûrie

Les IUFM ont été discrédités par une campagne continue : Le Figaro du 31 mai 2006 titre « La formation dispensée dans les IUFM est jugée insuffisante et inadaptée, selon un sondage conduit par le Ministère ». Dès 2007, on leur enlève le pouvoir de valider la formation des stagiaires : ils ne communiquent plus désormais au jury de recrutement qu’une « évaluation » des fameuses « dix compétences ». Leur intégration aux universités ouvre la voie à l’immersion complète des futurs enseignants dans le système purement universitaire LMD (Licence-Master- Doctorat). Il y a là un nouveau partage des tâches : au Supérieur la formation des futurs enseignants, à l’Éducation
nationale leur recrutement.

Du côté de la Fonction publique, on a préparé le terrain à la remise en cause des statuts. La loi du 26 juillet 2005 crée, à côté des fonctionnaires, des CDI dans la Fonction publique d’État. Une circulaire du 1er décembre 2005 règle son application à l’Éducation nationale. Plus explicite encore, la loi LRU du 10 août 2007 précise : « le président
peut recruter, pour une durée déterminée ou indéterminée, des agents contractuels 1°/ Pour occuper des fonctions techniques ou administratives de catégorie A 2°/Pour assurer [...] des fonctions d’enseignement, de recherche, ou d’enseignement et de recherche ».

Ce qui nous attend si nous ne luttons pas

Un certain nombre de rapports officiels préparent les évolutions en cours, que la loi de Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) devrait légaliser. Le rapport Pochard de février 2008 appelait à « examiner les possibilités de réintroduire dans le droit de la Fonction publique, et bien sûr chez les enseignants, des éléments de négociation contractuelle et de contrat ». Le Livre blanc sur l’avenir de la Fonction publique, remis le 17 avril 2008 par Jean-Ludovic Silicani, préconise de « créer un marché de l’emploi public avec une bourse de l’emploi sur laquelle l’ensemble des postes vacants seront mis en ligne. Tous les agents publics pourront se porter candidat à un poste vacant. »

Pour le recrutement des enseignants, et des fonctionnaires en général, on sent en fait se profiler deux options de la même politique. Pour les uns, les plus « libéraux », on supprime les concours : création au sein des universités de masters professionnels « métiers de l’éducation », puis recrutement a posteriori sur une liste d’aptitude dans laquelle l’employeur local sélectionnerait les candidats au
profil souhaité.

Pour les autres, les plus « conservateurs », on garde des concours de recrutement, mais ouverts aux seuls titulaires des masters et simplifiés. C’est le sens du rapport de l’IGA Corinne Desforges du 19 février 2008, qui préconise de « recentrer les procédures de recrutement de l’État autour de quelques grands concours non plus par corps mais par niveau ou par filière professionnelle, avec affectation sur des bassins locaux d’emplois », à l’image de ce qui se fait dans la Fonction publique Territoriale.

La différence entre ces deux options n’est pas fondamentale, Silicani l’affirme : « On peut obtenir [...] une souplesse au moins aussi grande dans le cadre du statut que dans le cadre du contrat. »

Les enjeux de la masterisation

Enfin la « mastérisation » elle-même pose question. Il y a actuellement en France 25 000 enseignants stagiaires, et seulement 60000 étudiants en master 2, qui sont bien loin de tous se destiner à l’enseignement. Si les concours sont maintenus, c’est pire : pour recruter 25000 enseignants sans ôter tout sens au concours, il faudrait au moins
50000 candidats. Or si la plupart des universités ont introduit un numerus clausus en master 1 et une sélection en master 2, ce n’est pas pour ouvrir les vannes d’une « mastérisation » massive ! Question connexe, que fera-ton des titulaires de masters recalés aux concours ?

Se profile alors une autre orientation, car il serait erroné d’imaginer que les conseillers de l’Élysée ne savent pas compter : on recrute chaque année par concours quelques milliers seulement d’enseignants détenteurs d’un master, qui seront fonctionnaires titulaires. Et pour les milliers voire dizaines de milliers d’enseignants manquants (malgré les suppressions de postes, il en manquera !), on les recrute comme contractuels soit parmi les recalés aux concours, soit parmi les étudiants qui préparent un master. On crée plusieurs catégories d’enseignants, sur un modèle à l’anglaise ou une des formules équivalentes, plus diviseuses les unes que les autres. Un indice de cette volonté a été fourni dès cet été par le « soutien scolaire » mis en place dans 200 lycées, et en partie confié à des étudiants en master ou des doctorants !

Ce que nous devons et pouvons encore obtenir

Certains points méritent une réflexion approfondie et un débat : place du concours de recrutement par rapport à la licence ; modalités d’un
prérecrutement permettant de diminuer les inégalités sociales ; formes possibles d’une préprofessionnalisation...

Mais l’essentiel doit pouvoir faire dès maintenant l’accord d’une large partie de la profession et de la population.

Nous exigeons que les enseignants (et les CPE) continuent à être recrutés par concours nationaux sur des programmes nationaux associant aspects disciplinaires et aspects professionnels, et demeurent des fonctionnaires d’État.

Nous exigeons, outre la préparation des épreuves des concours, le maintien le développement d’une véritable formation professionnelle, par alternance, prenant en compte la polyvalence des maîtres du premier degré.

Nous exigeons le maintien d’une structure spécifique de formation professionnelle — qu’on l’appelle IUFM ou autrement —, pour son expertise mêlant tous les niveaux de l’école et son potentiel de formateurs expérimentés issus de tous les corps d’enseignement.

Nous exigeons des mesures propres à réduire la sélection sociale. Si l’on tient à porter au niveau bac + 5 la formation des enseignants, ce ne peut être qu’en validant la formation par un master à son issue, celle-ci faisant partie intégrante du diplôme.

Enfin les stagiaires IUFM sont fonctionnaires stagiaires, et à ce titre rémunérés. Il est nécessaire de maintenir ce système et même de l’étendre au prérecrutement pour permettre aux jeunes des milieux les moins favorisés d’accéder à la titularisation dans de bonnes conditions.

C’est sur ces bases que Sud éducation entend organiser la résistance aux projets anti-sociaux de Sarkozy et préparer les nécessaires débats pour définir, promouvoir et imposer la formation des enseignants que nous voulons.

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