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Pérégrination d’un apprenti gilet-jaune. Épisode 4 : médias et démocratie vérolés, fortunes bien mal constituées
Article publié le 20 mai 2021

Le 19 mars 2019 : Aujourd’hui encore j’ai manifesté et abandonné une journée de salaire (en faisant cours la moitié de la journée pour mes élèves de 3ème qui passent leur brevet). La manifestation a rassemblé encore une fois bien plus de gens que celles des gilets jaunes.1 Couverture médiatique ? Peau de zob. On t’invisibilise ou on te méprise. Par Han Ho Nim

Pérégrination d’un apprenti gilet-jaune.
Épisode 4 : médias et démocratie vérolés, fortunes bien mal constituées

Le 19 mars 2019

Aujourd’hui encore j’ai manifesté et abandonné une journée de salaire (en faisant cours la moitié de la journée pour mes élèves de 3ème qui passent leur brevet). La manifestation a rassemblé encore une fois bien plus de gens que celles des gilets jaunes.1 Couverture médiatique ? Peau de zob. On t’invisibilise ou on te méprise.

Au moins avec les gilets jaunes, on te craint. Les effets ne sont que le résultat de causes.

Un pouvoir structurellement minoritaire roule sur le droit du travail, les services publics, les syndicats. Il précarise et renforce les inégalités. Dans le même temps, il cajole les actionnaires et les grands groupes, il vend des entreprises publiques aux copains et aux copines au delà de toute logique économique. Il méprise, insulte ou ignore.

Quelles options face à ça ? Chacun choisira en son âme et conscience.

Sur mon secteur, cela fait un mois et demi que l’on a créé un collectif qui va du primaire au lycée et qui regroupe enseignant.e.s et parent.e.s d’élèves pour protester contre la politique éducative et budgétaire de ce gouvernement. Elle se traduit sur la commune de Chelles par 6 fermetures de classe dans le premier degré (alors que la démographie est à la hausse), ce qui donnera des classes de primaire à 30 gamin.e.s.

Les collèges se mangent des baisses de dotations horaires (volume d’heures à répartir en fonction des classes) pour raison budgétaire, ce qui se traduit par la disparition d’options, de demi-groupes et des postes d’enseignant.e.s menacé.e.s sur le bahut.

Les lycées GT et pro se mangent des réformes dégueulasses mêlant autonomisation, mise en concurrence, fin du diplôme national et abaissement de la durée des enseignements reçus par les élèves (dans le pro).

Dans mon collège, on nous rajoute 30 gosses qu’il faudra l’an prochain accueillir dans des locaux petits et qui ne laisseront que 2,2 m2 de place par élève dans la cour, sans recevoir davantage d’heures dans la dotation. Des classes à 27 ou 28 élèves, dont certaines qui accueilleront des déficient-es visuels et leurs AESH.

On a fait grève, on a manifesté devant le conseil départemental et la mairie. On continue. Seule réponse : la pression et le mépris. Ce qu’on fait là, on ne pourra peut être plus le faire dans un an, avec la loi dite "école de la confiance" qui est en train d’être débattue.

Un inspecteur nous a reproché en audience de faire de la politique sous prétexte que le maire de la commune (un LR) a mis à disposition du collectif un car pour aller manifester à Melun. Je lui ai immédiatement rétorqué "si on y va en voiture, ce n’est plus politique ?". Sac à merde carriériste qui sur le ton de la rigolade parlait même de revoir les acquis sociaux parce qu’une CPE qui venait d’avoir son bébé a demandé à passer en 80% (en recevant donc 80% de son salaire) ce qui affaiblit la vie scolaire (nous avons 2 CPE pour 820 gosses).

On se bagarre contre un pouvoir, on se bagarre contre l’apathie de nos collègues (on a réussi à en mettre 45% en grève lors d’un préavis local, aujourd’hui c’était seulement 18%), on se bagarre contre des médias qui nous invisibilisent, on se bagarre contre notre hiérarchie. On se bagarre, on s’épuise, on déprime. On continue, jusqu’à ce qu’on n’en puisse plus.

Je viens d’avoir ma mère au téléphone. Elle vient d’être titularisée dans la fonction publique territoriale (catégorie C -> gardienne de gymnase), pour 1300 euros par mois, des horaires flexibles, un temps de travail annualisé. Elle sort de 10 années de galères consécutives à la crise économique de 2008/2009, elle était autrefois ouvrière. Elle sait que depuis 4 mois je suis dans les rues. Elle flippe mais ne peut s’empêcher d’être fière parce qu’elle trouve ça légitime. Elle m’a dit aujourd’hui qu’elle se demandait si la solution ce n’était pas de voter Marine le Pen aux prochaines élections2.

En ce moment, moi aussi j’ai mal à l’âme.

Dimanche 21 avril 2019

Hier, je suis arrivé à République vers 15h, j’ai été fouillé et délesté d’un masque respiratoire FFP3. J’ai de l’asthme, ma ventoline et un autre inhalateur qui le prouvent.

Le gentil gendarme mobile m’a pris le masque et expliqué que je n’avais rien à faire dans une manifestation en étant asthmatique. Les belles valeurs, sûrement. Quand je lui ai expliqué que la constitution me le permettait, il n’a trouvé à me redire que "c’est comme vous voulez". J’ai lu la loi anti-casseur, et notamment l’article en question sur le port de matériel permettant de dissimuler partie ou totalité de son visage. Un motif légitime peut l’autoriser.3 J’imagine que la protection de ses poumons n’en est pas un.

Pour la petite histoire, le gentil gendarme mobile avait le même que le mien. Mais lui avait le droit. De la même manière que la BAC a pu éborgner et matraquer au plaisir. De la même manière que l’on a pu, en France, redonner vie aux voltigeurs. De la même manière qu’un paquet de représentant-es des forces de l’ordre peut se permettre de nous envoyer chier quand on leur demande leur numéro d’immatriculation.

J’étais au niveau du groupe qui a chanté "suicidez-vous".4 Je ne chante déjà pas "tout le monde déteste la police", ce n’est pas pour chanter celui là. Et je me suis déjà exprimé là dessus. L’un de mes collègues chante les deux. Je ne partage pas.

Si les flics se suicident c’est à mon sens parce qu’il y a un mal être profond dans la profession. Dans quelle mesure la question du sens de leur métier en est à l’origine ? Je n’en sais rien. Je pense qu’elle se pose quand même. Les quelques bleu.e.s avec qui j’ai réussi à discuter n’étaient pas tou.te.s très à l’aise avec ce qu’on leur demandait de faire. Un copain de ma collègue qui manifeste avec moi depuis plus de 4 mois (j’en ai appris sur elle davantage en 18 manifestations, qu’en 5 ans de travail commun et quotidien) est gendarme mobile. Il n’aspire qu’à se casser. Il a peur. Peur de ce qu’il pourrait faire (tuer ?) et de ce qu’on pourrait lui faire (le lyncher ?).

Les bleu.e.s ne sont pas nos ennemi.e.s. Ils ne sont que des obstacles. Le jour où on arrivera à leur faire retirer le bouclier et à les rallier à nous, on aura gagné. Le pouvoir flippe de cela, ce n’est pas pour autre chose qu’il a cédé si vite sur quelques revendications des forces de l’ordre en décembre. Ils n’ont plus que ça, les chiens et chiennes de garde médiatiques et la bourgeoisie. J’essaie de travailler leur conscience à chaque fois que je le peux.

Si tu ne me crois pas, lève ton cul du fauteuil, et viens avec moi. Cela te permettra de juger sur pièce.

Si t’es disponible, le 1er mai s’annonce chaud. Marche à mes côtés, on boira un coup et on fera connaissance dans une situation réelle où l’on apprend bien plus vite à connaître l’autre que face à un écran. Je suis sincère.

Ces manifestations nous mènent peut être à l’impasse, mais j’irais quand même. De la même manière que la politique de Macron, semblable à celle de tant d’autres nous mène à l’impasse. Il ne déviera pas de son cap, nous non plus. Le rapport de force ne se terminera que par la défaite de l’un des deux camps. Si c’est le mien, tant pis. J’aurais le sentiment de ne pas voir trahis mes idéaux et mes proches.

Qu’on ne me parle pas de combattre dans les urnes. C’est fondamentalement vicié par l’argent et tout ce qui en découle (temps de parole dans les médias, traitement des programmes et des candidat.e.s par ces mêmes médias...).

Pour ce qui est de la démocratie, j’aimerais bien savoir de laquelle nous parlons. On nous a expliqué qu’il fallait la sauver, et que pour cela il fallait bien voter (entendre Macron).5
Puis après on nous a dit qu’un vote Macron au second tour était un vote légitimant son programme. Aujourd’hui je suis pleinement soulagé de ne pas avoir mis de bulletin dans l’enveloppe en mai 2017. J’aurais eu beaucoup de mal à me le pardonner. Un autre collègue n’a pas eu cette lucidité, il s’en veut terriblement et fait contrition en manifestant chaque semaine avec moi.

Le président est structurellement minoritaire, tant au niveau des suffrages, qu’au niveau sociologique.
Des gens pensent peut être à raison qu’une majorité de la population en a marre des gilets jaunes. Mais elle se trompe si elle pense que cette majorité donne dans le même temps son adoubement au prophète Macron, envoyé sur Terre par le Dieu marché afin d’annoncer le règne la liberté d’entreprendre et de s’enrichir.
Je pense au contraire que le pays vit une situation où la lutte des classes est plus que jamais visible, et qu’à la différence de ces trois dernières décennies, c’est un peu plus difficile pour la bourgeoisie de l’emporter, car une conscience de classe est en train de renaître à travers ce mouvement, chez celles et ceux du bas de l’échelle sociale.
Je n’ai ni preuves, ni études ou que sais-je encore pour étayer cela, sinon mon intuition.

Le pays n’a jamais été aussi fracturé qu’aujourd’hui. La politique de classe macronienne, dans le prolongement de celle de ses prédécesseurs, le mépris social ouvertement affiché en plus, ont nettement contribué à cela.
Même les appels surfaits à l’union nationale après la victoire à la Coupe du monde, après l’attentat de Strasbourg, ou encore après l’incendie de Notre Dame6 ne parviennent pas à réduire cette béance qui redonne vie et détermination des gens qui luttent du bas de l’échelle.

Les annonces de jeudi et les ballons d’essai lancés de ci de là (augmentation de l’âge de départ à la retraite, suppression des 35h, retrait des jours fériés, sans même parler de la casse du statut du fonctionnaire et de la mise au silence des enseignant.e.s...) par les gouvernant.e.s ont et vont aider à approfondir ce développement de la lutte d’en bas.

Nous sommes encore loin du compte, les plus précaires, les plus dominé.e.s ne sont pas encore dans les cortèges, ni même dans les soutiens à distance.

Mais je ne désespère pas. Ce qui se construit difficilement aujourd’hui sera utile demain.

N’oublions pas non plus que malgré la plus importante répression policière depuis 1968, malgré le retour des voltigeurs, malgré des tirs de LBD par milliers, malgré des milliers de personnes blessées, arrêtées et bientôt condamnées, malgré dix personnes mortes (dont une imputable aux forces de l’ordre -> accident) ; malgré la restriction (ou tentative) de nos libertés fondamentales (loi anti-casseur), il reste malgré tout 30 000 personnes (chiffres de la pravda préfectorale) qui chaque samedi continuent.

Le mois de mai risque d’être décisif.

Au mouvement syndical de ne pas passer une nouvelle fois à côté.

Jeudi 18 avril 2019 : les milliardaires au « secours » de Notre Dame

Ces fortunes se sont constituées salement, au détriment des salarié.e.s des grands groupes, sans même parler des opérations mi-propres mi-dégueulasses dans lesquelles l’État a trempé et grâce auxquelles les oligarques se sont goinfré.e.s.

Si on récupérait l’argent volé, nous n’aurions pas besoin de commenter l’éventuel bon cœur d’une raclure.7 Les adeptes du libéralisme aiment bien mettre en avant la charité des riches, c’est touchant.
Sans parler de la défiscalisation, c’est aussi un investissement en termes d’image et...à moyen/long terme, financier.
Convenons malgré tout que là dedans, il y a une part réelle de sincérité. Dommage qu’elle disparaisse quand il s’agit d’augmenter les salaires, ou tout simplement de donner un toit au milliers de SDF de Paris.

Je conçois que l’on puisse sincèrement pleurer devant la destruction d’un bâtiment, pour son histoire, sa symbolique religieuse. Personnellement je n’en ai rien à secouer. Quand un immeuble à Marseille s’effondre avec des personnes dedans, c’est à mes yeux un drame.8 A Notre Dame, je n’ai vu qu’un feu.

Qu’on ne me demande pas de me soumettre à l’injonction nationale provenant des politicard.e.s et des éditorialistes de pleurer devant des flammes, d’applaudir devant des raclures qui sortent le pognon qu’ils et elles spolient par tout un tas de moyens dégueulasses, et ce depuis des décennies.

Je n’arrive pas à voir la "bonne action" dans les dons des milliardaires, désolé. Si l’État prenait le pognon volé, et le redistribuait, on aurait pas besoin de commenter la grandeur supposée des âmes milliardaires, comme vous êtes en train de le faire depuis deux jours.

La pierre et le symbole contre l’humain. J’ai fait mon choix.

Par Han Ho Nim