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Les âmes mortes de la formation des enseignants L’éducation nationale dans le mur ?
Article publié le 16 janvier 2009

Les âmes mortes de la formation des enseignants

L’éducation nationale dans le mur ?

A quels professeurs confierons-nous demain l’éducation de nos enfants ? Qu’en sera-t-il des universités où ils auront été formés ? A première vue, ces deux questions semblent relever de problématiques différentes et ne rien gagner à être traitées ensemble. Il se trouve pourtant qu’un lien existe entre elles même s’il est un peu difficile à expliquer pour les non initiés. Le débat sur la formation des enseignants n’est pas très glamour. Mais il convient de lui accorder toute son importance car les conséquences seront considérables à la fois pour l’école et pour les universités. C’est-à-dire pour l’avenir même de la nation. Une réforme est donc en cours – une de plus – et provoque dans les universités un mouvement de protestation encore plus vaste que la loi LRU l’an dernier. Pourtant personne n’en parle parce que ce ne sont pas les étudiants qui descendent dans la rue mais leurs professeurs qui répliquent aux attaques subies avec les arguments qu’il leur reste encore : les textes qu’ils peuvent écrire et les raisonnements qu’ils peuvent tenir. Mais il n’est pas sûr qu’ils s’en tiennent là si on continue à ne pas les écouter et à faire semblant de les entendre.

Que doivent donc faire les universitaires pour qu’on entende leur voix ? Bloquer Paris comme les chauffeurs de taxi ? S’exhiber tel Adam et Eve devant l’Elysée ? Demandons-nous donc pourquoi, dans la France de Nicolas Sarkozy, de Xavier Darcos et de Valérie Pécresse, et sans que personne n’en sache rien ni qu’aucun journal ne s’en fasse l’écho, des dizaines d’universités sont en ébullition (plus de 150 motions de protestation ont été votées en un mois) ? Pourquoi la quasi-totalité des sociétés savantes et des associations professionnelles manifestent, elles aussi, leur inquiétude et pourquoi les bien peu révolutionnaires présidents des universités de Paris-centre envoient une lettre à Valérie Pécresse pour dénoncer le « mépris » dont elle fait preuve à leur égard et la « farce » à quoi se réduit le projet de réforme actuellement prévu ? Pourquoi un tel langage, si peu habituel dans ces milieux ? Pourquoi plusieurs universités aussi importantes que Paris 10-Nanterre, Paris 8 Vincennes/Saint-Denis, Paris 4-Sorbonne, Grenoble 3 ou Montpellier 3 annoncent-elles qu’elles ne transmettront aucune maquette de nouveau master d’enseignement à la date prévue par le Ministère, faisant fi ainsi de l’organisation de la concurrence entre établissements qui est au cœur de la loi LRU ?

Que s’est-il donc passé enfin pour qu’acceptent de figurer côte à côte dans un « appel du 8 novembre », pour ne citer que quelques-unes des signatures, la Société des agrégés et le syndicat SUD, des professeurs, des chercheurs et les derniers des FTP-MOI, « Sauvons la recherche » et « Reconstruire l’école », « Sauver les lettres » et le SNESUP, la Société française d’études sur le seizième siècle et l’Union des familles laïques ou Attac (voir le site www.appeldu8novembre.fr) ? Sans parler de plus de 17000 citoyens qui ont adhéré à cet appel en un mois.

Tout cela ne relève pas du caprice ni d’une unanimité de façade. Il s’agit, au-delà des positions éventuellement divergentes sur une amélioration de la formation des enseignants, d’une réponse commune à la réforme brutale et radicale de celle-ci. D’autant que cette réforme a été mise en place pour des raisons où, comme toujours depuis quelques années, les motivations budgétaires le disputent aux postulats idéologiques. Et pour faire avaler cette potion amère, on agite le hochet de la démagogie.

Le hochet, c’est le prolongement annoncé de la formation puisque, pour répondre à une promesse électorale de Sarkozy, le recrutement se ferait théoriquement à bac + 5 (master) et non plus à bac + 3 (licence). Mais, en réalité, le recrutement avait déjà lieu à Bac + 5, puisque la licence était suivie d’une année minimum de préparation aux concours et d’une année de stage rémunérée. Ces deux années sont désormais intégrées au master. On n’augmente donc pas la durée des études mais seulement celle des études non payées. Car l’année de stage est supprimée avec une conséquence évidente : les lauréats du concours seront directement envoyés au casse-pipe dans des classes de plus en plus difficiles, sans aucun filet de sécurité ni aucun accompagnement sérieux. A-t-on pris en compte les dégâts que ce manque d’expérience peut causer parmi les enseignants comme parmi les élèves qu’ils auront ? A tout cela il n’y a qu’un seul objectif très matériel : économiser de 10000 à 20000 postes de stagiaires par an, la réduction des coûts de la fonction publique étant devenue, on le sait, la seule variable d’ajustement du budget de la Nation.

Mais cela ne s’arrête pas là : les dégâts collatéraux de cette réforme frappent de plein fouet les Universités. Car à l’absence de formation pratique s’ajoute la quasi disparition des contenus disciplinaires du concours. Tout cela doit être remplacé par une vague culture générale, délayée dans la sauce d’une pédagogie purement théorique et abstraite tandis qu’on s’appliquera à vérifier le conformisme idéologique des futurs enseignants dans une épreuve conçue comme un entretien d’embauche.

Comment ce concours light, fondé sur les programmes du primaire et du secondaire, pourrait-il trouver sa place à un niveau Bac+5 sans dynamiter les masters eux-mêmes ?

Que deviendra alors la recherche universitaire ?

Que deviendront enfin les nombreux titulaires d’un tel « master d’enseignement » qui n’auront pas réussi les concours puisque le taux de réussite aux concours de recrutement en période de vaches maigres ne dépasse guère 10% ? L’un quelconque des prochains gouvernements pourra dès lors décider aisément de puiser dans cette « armée de réserve » et de se passer des concours. D’où une réduction notable du nombre de fonctionnaires, mais au prix d’une précarisation généralisée des enseignants et un effondrement de la qualité des enseignements, à laquelle contribuera y compris dans les universités le décret à venir sur le statut des enseignants-chercheurs. On notera avec intérêt que, dans le même temps, M. Darcos, malgré son récent recul sur la question, entend modifier les programmes scolaires dans un sens adapté à ces concours sans contenu et entend doter les chefs d’établissement d’une prérogative nouvelle : celle de recruter directement des contractuels. Ça tombe bien ! Pendant ce temps, nombre d’universités, notamment celles qui sont situées dans des villes moyennes et qui sont à dominante lettres et sciences humaines, seront amenées, après avoir vu fondre leur potentiel de recherche, à programmer aussi leurs licences en fonction de ces nouveaux concours pour répondre à la demande des étudiants et à la concurrence sauvage entre les établissements instaurée par la loi LRU. Et ce d’autant plus que les suppressions de postes et la faiblesse des dotations budgétaires interdiront toute transformation originale de la carte des formations, comme le montrent les arbitrages ministérielles de ces derniers jours.

La boucle sera bouclée et il ne restera en France qu’une dizaine d’universités de plein droit, mêlant donc recherche et enseignement, ce qui est bien l’un des grands objectifs du Ministère actuel… pour en faire remonter quelques-unes dans le « classement de Shangaï » des universités mondiales, bien sûr.