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Pérégrinations d’un apprenti gilet-jaune. Episode 2 : La violence, quelle violence ? Par Han Ho Nim.
Article publié le 11 mars 2021

Dimanche 16 décembre 2018. On entend beaucoup de gens assimiler les gens qui manifestent à des « casseurs » et « casseuses », a minima à des complices. La manifestation n’étant pas déclarée, et attirant toujours des personnes de ce type, y aller, c’est nécessairement suspect.

Pérégrinations d’un apprenti gilet-jaune.

Épisode 2 : La violence, quelle violence ?

Dimanche 16 décembre 2018.
On entend beaucoup de gens assimiler les gens qui manifestent à des « casseurs » et « casseuses », a minima à des complices. La manifestation n’étant pas déclarée, et attirant toujours des personnes de ce type, y aller, c’est nécessairement suspect. Quand les manifestations sont déclarées, et que ces personnes viennent, cet argument devrait pouvoir se tenir facilement... Qu’on interdise donc toutes les manifestations, et ces problèmes vont disparaître ! La logique des gens qui s’opposent à ce mouvement a ses limites.

Hier, j’ai été fouillé avec mes amis, en tentant de me rendre sur les Champs. Un policier s’est demandé sérieusement, du moins j’en avais l’impression, si une clémentine ça ne pouvait pas être un projectile destiné à le violenter. Mon pote en avait plein le sac. J’ai évidemment rigolé à la question du flic, il m’a demandé d’éviter. Le rire, forcément une arme de personnes violentes abreuvées de haine anti-flic. Interdisons donc le rire !

Un peu plus tard, les bleu.es nous ont autorisé à rentrer dans le quartier de l’Opéra. Ne connaissant pas bien Paris, je me suis rendu où il y avait des jaunes. Rentrer était possible, sortir beaucoup moins. Faut dire qu’on voulait aller sur les Champs. Je suis resté deux heures à passer d’un barrage de flics à un autre, à discuter/négocier. Visiblement les flics avaient des ordres, et dans leurs rangs tout le monde ne les comprenaient pas forcément bien, puisqu’au départ, une sortie devait être laissée rue Auber, pour contrôler le mouvement du cortège vers les Champs.

J’ai réussi à sortir en retirant mon gilet jaune et en cachant qui j’étais - je devais rentrer rapidement, puisque de mariage - au bout d’un certain temps, en passant par la rue Halevi. Va savoir pourquoi quelques personnes pouvaient sortir et d’autres non, pourquoi ici et pas ailleurs... La logique policière m’échappe parfois. Sur mon temps de présence en jaune dans la rue, je n’ai pas vu une caillasse lancée, et nous étions pourtant des centaines. En revanche j’ai vu facilement autant de CRS et gendarmes mobiles, avec toute la panoplie. J’ai vu des blindés et même une compagnie de flics monté.es sur des canassons. Pauvres bêtes.

Dimanche 23 décembre 2018.
Aux gens qui disent de plus en plus qu’en se rendant dans de telles manifestations, on assume les risques encourus1, je réponds que je les prends tout en assumant le risque de me faire tirer dessus au LBD, de me faire gazer ou arrêter. J’y vais en ayant cela à l’esprit depuis un mois. Cela ne me retire pas pour autant le droit d’opinion et la liberté de l’exprimer concernant le sujet des violences qui incluent aussi celles des bleu.es, même s’il s’agit d’une manifestation illégale.

Ces violences policières dont il est de plus en plus question existent aussi lors de manifestations légales et s’exercent parfois dans des zones et à des moments où les personnes vraiment violentes sont plus ou pas. Je les ai vécues une fois, en avril dernier, à l’occasion d’une manifestation parisienne. Que font les médias dominants ? Pourquoi ne les documentent-ils pas ?

J’étais en manifestation hier avec des ami.es. 2 heures de pérégrination dans Paris à la recherche des gilets jaunes - de Montmartre à Bastille, en passant par les Champs, nous ne voyons rien. Nous finissons finalement pas trouver la manifestation sur le boulevard Haussmann (il me semble), vers 17h environ. On remonte alors vers les Champs qui se vident rapidement. Les boutiques se ferment, la circulation est interrompue. J’ai vu à un moment donné, vers le milieu de l’avenue et en redescendant, une charge de dizaines de gilets jaunes (un début de mouvement de foule) vers une rue perpendiculaire, puis des fumées de lacrymo. Je ne sais pas trop ce qu’il s’est passé, j’ai juste vu des motos au sol.

J’ai pu voir en rentrant les images des trois ou quatre motards qui ont échappé de peu au lynchage et probablement à la mort. Heureusement que le flic a gardé son sang froid (à sa place pas sûr que j’y serais parvenu), il aurait pu envoyer rapidement dans la tombe l’un de ces connards, qui ne l’aurait pas volé. On n’est pas passé loin de la catastrophe.2

On remonte une rue perpendiculaire par la suite. D’un coup, j’entends des cris : "on en a un" et observe un début de course en arrière, vers un mec baraqué et encapuché. J’y vais avec deux collègues. La foule avait attrapé ce qui était apparemment un voleur de sac (c’était assez flou) et commençait à le taper. Nous sommes intervenu.es avec ma collègue et quelques gilets-jaunes pour nous interposer. On ceinture le coupable/victime pour éviter qu’il ne soit lynché. On se fait virer, on y retourne, on bouscule, on s’empoigne. On crie "vous n’allez pas le tuer". On est au niveau d’une boutique de fringues, les commerçantes sont apeurées, on finit par réussir à faire rentrer le gros con à l’intérieur, puis je me positionne avec un autre type devant l’entrée pour faire barrage. L’autre gros con voulait sortir rencontrer la foule. Ahurissant.

On a maintenu la porte fermée, vaille que vaille. J’ai bien cru que le mec aurait pu crever. On a défendu ce qui était manifestement un voleur de sac ou un casseur. On n’est pas passé loin de la catastrophe, mais dans l’autre sens. C’était encore plus effrayant que la première fois. Les flics remontant la rue ont fait fuir le gros du cortège dans une autre rue et nous ont dépassé. Fin de manifestation pour nous.

Rétrospectivement, je n’ai pas vu une seule vitrine cassée hier, et plusieurs médias ont signalé des dégradations peu nombreuses ou absentes de la capitale. Pas dit dès lors qu’il y avait des centaines de pillards ou de casseurs et casseuses comme cela a pu être dit. Les vermines qui ont essayé de buter les trois flics3 étaient une cinquantaine (et encore), sur une chiffre total de 2000 manifestant.es sur Paris. Faut replacer les choses dans leur contexte.

Que la manifestation soit encadrée et légale, ou pas, on croisera des vermines violentes, voleuses, xénophobes, homophobes ou sexistes. Que faire ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est qu’interdire les manifestations (coucou Manuel)4, arrêter des gens préventivement pour des masques ou des bombes de peinture ne sont pas des options démocratiques5.

Dimanche 27 janvier 2019
Beaucoup de gens doutent de l’efficacité du mouvement des gilets-jaunes par rapport à ses revendications. Peut-être ont-ils raison.
Les gilets-jaunes ont au moins le mérite de se bouger le cul pour cela, quand d’autres :
- se contentent de pester, installé.es dans le confort du canapé.
- défendent ce système inique qui concentre la moitié des richesses mondiales dans les mains de 26 personnes6, sur la base d’un "c’est mérité, ils ont travaillé, ils ne doivent rien à personne".
Autrement dit des attitudes que l’on peut voir un peu partout.

Hier je suis allé place de la République pour voir ce que donnait la "nuit jaune". J’avais mon gilet. Honnêtement, c’était inintéressant. Pas de débat, de la musique au centre, des jeunes un peu excité.es sur les routes faisant face aux forces de l’ordre. Bref, rien d’utile. Je préfère nettement les manifestations dans des avenues qui symbolisent le vrai pouvoir7.
J’ai vu une petite vingtaine de bouteilles en verre jetées (pas la peine de préciser vers qui), une poubelle brûlée et une vitrine à peine attaquée (Yves Rocher me semble-t-il). Quelques slogans hostiles, dont le classique "Tout le monde déteste la police". J’ai trouvé l’attitude des forces de l’ordre plutôt apaisante. Ils ont chargé quand quelques types s’en sont pris à la vitrine, et c’est tout.

Puis soudainement, charge massive vers le centre de la place. Évidemment, les courageux et courageuses excité.es à l’avant garde du mouvement se sont en 5 secondes retrouvé.es derrière nous, qui marchions.
Et là le chaos : des grenades assourdissantes et de dés-encerclement qui tombent à nos pieds, des tirs de grenades lacrymo, et même de LBD. Le tout alors même que nous étions en train de fuir comme on pouvait (pas évident de voir quelque chose quand on est noyé dans le gaz).

Les gens s’enfuient donc de la place et arrivent vers une sortie tenue par des CRS8. Réponse : canon à eau. Mouvement de foule en sens inverse, vers des raclures de la BAC qui tirent au LBD. Le tout en 60 secondes. On voit un type au sol, on ne sait pas ce qu’il a pris, on essaie de le tirer, la BAC avance vers nous tout en continuant de tirer lacrymos, grenades et balles dites de défense. On voit des gens qui boitent, des couples en pleurs, bref, le chaos.

On trouve refuge vers une petite rue tenue par une quinzaine de CRS, en pleurs9. Ils se sont fait gazer eux aussi, visiblement par surprise. Le ton monte : "barrez-vous de l’autre côté". "Vos collègues nous tirent dessus et nous gazent, où peut-on sortir ?". Ils n’en savaient rien. On demande un peu énervé si on peut sortir par leur côté, l’officier nous dit "je vais demander les instructions". Réponse : "négatif, ils ne sortent pas par là". On palabre en essayant de détendre un peu le truc, je propose du sérum à l’officier - qui d’ailleurs a chopé quelques minutes avant son jeune collègue par le col pour lui dire "tu ne gazes que si je t’en donne l’ordre". Eux mêmes en avaient plein le cul du commandement.
Du coup, on se retrouve coincé entre le marteau et l’enclume policière. Deux ou trois personnes désespérées et énervées ont foncé vers la quinzaine de CRS pour forcer le barrage. Elles ont été repoussées à coups de matraque.
La BAC avance alors vers nous. Ulcéré, je suis allé au devant. Une merde m’a mis en joue avec son LBD, pendant que son collègue me pointait sa lumière dans la gueule. "Tu vas me tirer dessus alors que je suis à 4 mètres de toi, comme si j’étais un terroriste ?" J’ai hurlé à plusieurs reprises. L’un d’entre eux a daigné me répondre : "On ne fait que répondre et se défendre". "Tu te défends de quoi ? Je suis mains nues, visage découvert, tu as un casque, un bouclier, un tonfa et ton LBD." Après coup, je n’ai qu’un regret, ne pas lui avoir demandé "Et qui va me défendre de toi ?". Là, il aurait vraiment pas fallu que j’ai un pavé dans la main, parce que je me voyais bien lui envoyer en pleine gueule, alors que 15 minutes avant je critiquais les chants hostiles à la police en expliquant qu’on ne peut jamais rien gagner en attaquant des gens armés, formés et assermentés. Le vrai chant subversif : "La police avec nous".

Finalement, on trouve un point où l’on peut sortir un peu plus loin10. Les flics nous demandent d’ouvrir les sacs et de retirer le gilet-jaune. Encore énervé : "Vos collègues nous tirent dessus en prétendant se défendre, je n’ai que des livres et une trousse dans mon sac". Je passe. J’en croise un autre en retrait, "Dites à Castaner d’aller se faire mettre. Il est temps de gueuler contre votre hiérarchie qui vous utilise comme de la viande". Il sourit, fin de manifestation.

Depuis 2016 et le tournant Valls, on a plus ou moins admis qu’il était désormais dans la norme de se faire gazer en manifestation, légale comme illégale.

Que les forces de l’ordre chargent pour évacuer une place occupée illégalement, c’est plutôt normal. Mais qu’on laisse une porte de sortie aux manifestant.es, et que l’on ne tire pas à tort et à travers au LBD sur des gens qui s’enfuient (c’est contraire aux procédures). Les gens se sont dispersés juste en voyant la charge. Cela suffisait nettement.

J’ai eu le sentiment d’être un pigeon volant au milieu d’un stand de tir. J’ai eu honte de mon pays.

Par Han Ho Nim.